Le sirop d’érable est l’un des seuls produits authentiques du terroir québécois. Son ancrage dans notre passé est impressionnant: non seulement cela fait plusieurs siècles qu’on en fabrique, mais ce produit a également bénéficié de nombreuses avancées strategies qui ont progressivement permis son perfectionnement. Puisque c’est au printemps que l’on associe la récolte de l’eau d’érable, le processus d’ébullition et, bien sûr, la traditionnelle «partie de sucre» à la cabane, profitons du redoux pour revisiter l’histoire de ce patrimoine sucré!
1. Terre d’érable
La fabrication du sirop d’érable au Québec relève d’une custom et d’un savoir-faire qui se sont élaborés au fil des siècles. Ce n’est pas un hasard: il existe une centaine d’espèces d’érables à travers le monde, dont une bonne douzaine au Canada… mais c’est ici, en sol québécois, que l’on retrouve le plus d’érables à sucre (Acer saccharum).
Ce dernier produit une sève plus claire et plus concentrée que les autres. Son rendement est exceptionnel, soit une cinquantaine de litres par arbre par année. Et il peut vivre jusqu’à 250 ans!
2. La lune de sucre
Même s’il est difficile de dater l’apparition de cette pratique, on sait que les membres des Premières Nations connaissaient et récoltaient l’eau d’érable bien avant l’arrivée des colons européens.
On désignait sous la poétique expression de «lune de sucre» la période d’environ quatre semaines pendant laquelle on recueillait le précieux liquide.
La plus ancienne point out écrite concernant l’érable remonte au milieu du 16e siècle. Un compagnon de voyage de Jacques Cartier, le cosmographe André Thévet, relate la «découverte» de l’eau d’érable (consideration, en orthographe d’époque!): «Le pais et terrouër de Canada, est beau & bien situé & de soy tres bon. Il porte plusieurs arbres et fruits, entre lesquels y a un arbre de la grosseur & forme d’un gros noyer. Quelcun le voulant coupper en faillit un suc, lequel fut trouvé d’autant bon goust, & delicat, que le bon vin d’Orleans ou de Beaune.»
3. Alchimie sucrée
Traditionnellement, l’eau d’érable était cuite avec précaution dans des récipients de peau ou de terre cuite, un processus qui permettait de l’épaissir par évaporation. L’introduction des chaudrons de métal permettra dès le début du 17e siècle de faire bouillir longuement l’eau d’érable. En s’épaississant, le liquide clair se transforme progressivement en sirop qui, si on poursuit la cuisson, finit par atteindre une consistance granulée.
À l’époque de la Nouvelle-France, les installations de transformation de l’eau d’érable sont de simples sucreries de ferme. Situés à proximité de la maison familiale, ces petits bâtiments rudimentaires permettent aux habitants de produire la qualité de sirop et de sucre nécessaire pour subvenir à leurs propres besoins.
Les éventuels surplus sont échangés contre d’autres denrées ou vendus au marché public. Les Britanniques poursuivront tout naturellement l’exploitation de cette formidable ressource après 1763.
4. Y a pas de mal à se faire du bien
Les produits de l’érable passent depuis longtemps pour des remèdes efficaces contre les affections pulmonaires. Cette utilisation thérapeutique est attestée notamment dans la médecine traditionnelle des nations huronne-wendat, innue et micmaque.
Cette bonne réputation fait son chemin jusqu’aux Français. Dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751), «on en vante l’utilization pour les rhumes & pour les maladies de la poitrine». Même opinion favorable du côté de l’ingénieur Louis Franquet, en poste à Louisbourg en 1755, qui en envoie une petite boîte contenant 40 tablettes à un confrère parisien!
Fait intéressant, des recherches menées sur le sirop d’érable depuis une vingtaine d’années ont montré le fondement scientifique de ces croyances anciennes: en effet, la découverte d’une molécule distinctive de la famille des polyphénols a démontré des propriétés anti-inflammatoires très prometteuses. Les chercheurs l’ont nommée… «québécol».
5. Vous avez dit «étemperche»?
Les «sucreries des grands bois» sont des installations typiques des villages des années 1800 à 1850. Il s’agit le plus souvent de simples abris formés de quelques planches, la «delicacies» étant à l’extérieur.
Les colons recueillent l’eau d’érable dans des auges d’écorce ou de bois, puis la transportent jusqu’aux chaudrons. La personne chargée de faire bouillir l’eau d’érable utilise un grand chaudron de fonte suspendu à une étemperche, sorte de crémaillère rustique faite de branches solides et placée au-dessus du feu. Il va sans dire que ce kind d’set up nécessite beaucoup de flamable… et que la transformation en sirop ou en sucre s’avère plutôt longue.
6. Une ère nouvelle
C’est au milieu du 19e siècle que l’acériculture entreprend de se moderniser. Des améliorations et des innovations facilitent la cueillette de l’eau d’érable, puis sa transformation et même sa commercialisation.
Ainsi, les chalumeaux et les «goudrelles» d’acier permettent d’améliorer la collecte sans blesser les érables, tandis que les bouilloires de tôle et les gros évaporateurs à fond plat donnent aux producteurs la possibilité d’augmenter la quantité (et la qualité!) du sirop d’érable qu’ils produisent. De véritables cabanes, bien solides, remplacent les vieux abris déglingués.
7. La bénédiction des érables
Une des traditions les plus difficiles à documenter est celle de la bénédiction des érables. Possiblement pratiquée dans quelques régions acéricoles, notamment en Estrie, cette cérémonie consistait en une procession comprenant un prêtre, un ou plusieurs enfants de chœur, un fidèle portant une croix de procession et, bien sûr, la famille propriétaire de l’érablière et son voisinage.
Si l’on en croit la documentation ethnologique, le prêtre bénissait les érables et prononçait une prière afin que la divine Windfall facilite une récolte abondante…
8. La fameuse cabane à sucre
La révolution industrielle, en plus de donner une impulsion à la manufacturing acéricole, donne également naissance au phénomène des visites à la cabane à sucre. Eh oui: bien des gens ayant quitté leurs campagnes natales pour travailler en ville sont nostalgiques et commencent à y revenir au printemps, afin de participer à une «partie de sucre».
La cabane devient un lieu de rassemblement où, pendant quelques heures, on renoue avec le mode de vie d’antan. La nourriture, la musique, la danse, la promenade en traîneau et, bien évidemment, la tire sur la neige sont au «menu»!
9. Collecter sans se fatiguer
Le producteur de sirop ou de sucre d’érable a longtemps dû transporter la sève recueillie dans des seaux ou des baquets, à dos d’homme. Les raquettes étaient souvent indispensables pour ne pas s’enfoncer dans la neige! Lorsque les sentiers entre les érables le permettaient, on pouvait aussi transvider les baquets dans un gros tonneau, lui-même placé sur un traîneau tiré par un cheval. Ce processus est longtemps resté semblable… ce qui était très fatigant.
Les tubulures qu’on start à installer à la fin des années 1960 permettent d’alléger grandement la cost de travail en acheminant l’eau directement à la cabane pour y être bouillie. L’arrivée de l’osmose inversée, dans les années 1980, permet aussi d’économiser du temps précieux aux producteurs acéricoles. Puisque ces tubes de collecte ne sont pas très jolis, il arrive que les propriétaires d’érablières laissent quelques arbres entaillés «à l’ancienne» aux abords de leur cabane à sucre, pour faire plaisir à leur clientèle nostalgique!
10. Le sucre sous toutes ses formes
Le sucre d’érable a donné lieu à une forme d’artwork populaire inattendue: les moules à sucre. En effet, si le sucre était jusqu’alors conservé en «pains» ronds ou carrés, dont on casse des morceaux à mesure, on start à lui donner une forme plus recherchée à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle.
Les moules en bois prennent des motifs différents: cœurs, animaux, and so forth. À la fois pratique et très joli!
On trouve aujourd’hui certains de ces moules d’antan accrochés au mur de cabanes à sucre traditionnelles ou exposés dans les musées valorisant les traditions populaires.
10. Structurer l’industrie sucrière
Soucieux d’assurer une manufacturing plus uniforme et surtout d’être plus structurés face au marché américain, une centaine d’acériculteurs forment en 1925 la Coopérative de producteurs de sirop d’érable. Sous la path de Cyrille Vaillancourt, la Coopérative embauche des inspecteurs et des chimistes pour veiller sur la qualité. On établit ce qui deviendra la classification officielle du sirop d’érable pendant plusieurs décennies: extra-clair, clair, médium, ambré et foncé.
Les années 1930 voient apparaître le beurre d’érable, tandis que le petit cornet gaufré rempli de sucre d’érable se popularise. La célèbre preserve métallique de 591 ml, ornée de son petit dessin traditionnel, fait son apparition dans les marchés d’alimentation en 1951.
11. Rasade d’érable
Ce n’est pas d’hier qu’on incorpore le sirop d’érable à divers cocktails. «Au graduation du printemps, de leur écorce il kind une liqueur sucrée, qu’avec grand soin les habitants recueillent dans chaque contrée. Ce breuvage me sembloit bon, et je le beuvois en rasade; il ne fallait que du citron pour en faire une limonade», écrivait poétiquement le sieur de Dièreville au début du 18e siècle!
Depuis le tournant du millénaire tout particulièrement, on a vu se développer de nombreux alcools québécois impliquant l’érable d’une manière ou d’une autre. «Vin», boissons crémeuses, gin, vodka, brandy ou whisky aromatisés à l’érable sont devenus les vedettes de nos verres, et pas seulement pendant l’hiver! C’est un phase extrêmement intéressant du secteur agroalimentaire actuel.
12. Un produit phare du Québec
Même s’il demeure associé au retour du printemps, le sirop d’érable peut facilement être consommé en tout temps. Les produits de l’érable figurent d’ailleurs parmi les denrées d’exportation les plus importantes du Québec, qui est le plus gros producteur mondial de sirop.
Outre le marché native, notre «or brun» a conquis les consommateurs de tous les continents grâce aux efforts de l’industrie et à une mise en marché soignée.
Les produits de l’érable sont aujourd’hui parmi les denrées d’exportation les plus importantes du Québec: la province est la plus grande productrice mondiale (plus de 70%) de sirop d’érable, qui est aussi le plus recherché. Une belle fierté québécoise à célébrer!
Un texte préparé par Catherine Ferland, historienne, pour les Rendez-vous d’histoire de Québec.
- Les 6e Rendez-vous d’histoire de Québec seront de retour du 9 au 13 août 2023! Entre-temps, découvrez ou redécouvrez gratuitement la centaine de conférences des éditions précédentes sur notre chaîne YouTube et suivez-nous sur Facebook. Plus d’infos au rvhqc.com.